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Personnes im.migrantes derrière les barreaux : les failles procédurales et leur impact sur le respect des droits humains

Personnes im.migrantes derrière les barreaux : les failles procédurales et leur impact sur le respect des droits humains

Introduction

On compare souvent la situation des personnes im.migrantes détenues pour des fins administratives à celle des personnes détenues en lien avec des infractions pénales. Il existe toutefois une différence cruciale entre les deux. Les personnes incarcérées à la suite d’une accusation criminelle ont été privées de leur liberté suivant une procédure pénale qui respecte, en principe, les droits et garanties protégés par les articles 10 et 11 de la Charte canadienne des droits et des libertés. Les personnes im.migrantes, en revanche, peuvent être détenues par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à des fins uniquement administratives. 

Si entrer ou demeurer sur le territoire du Canada de façon irrégulière peut constituer une infraction, il ne s’agit pas d’une infraction criminelle. Il s’agit d’une infraction administrative, au même titre, par exemple, qu’une infraction au Code de la sécurité routière. Le fait que l’on puisse détenir des personnes qui entrent ou demeurent sur le territoire du Canada de façon irrégulière représente une exception en matière administrative, d’autant plus que les personnes qui sont détenues pour les fins de l’immigration ne le sont pas à des fins punitives, mais plutôt à des fins préventives et administratives (par exemple, parce qu’elles ne peuvent pas prouver leur identité ou parce que l’on estime qu’elles sont à risque de fuite). De plus, selon les principes mis de l’avant par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, la détention liée à l’immigration doit n’être qu’une mesure de dernier recours ⁵, ce que reconnaissent par ailleurs les directives administratives canadiennes. En outre, en vertu du droit international, une personne qui demande l’asile ne doit pas être soumise à des sanctions pénales – ou, en d’autres termes, punie – parce qu’elle est entrée dans un pays ou y séjourne sans autorisation.

L’emprisonnement demeure l’une des mesures les plus draconiennes à laquelle un État peut soumettre une personne. Malgré cela, au Canada, les personnes non citoyennes sont néanmoins privées de liberté suivant une procédure opaque, marquée par l’absence de garanties procédurales qui assurent normalement un procès juste.

Regardons tout cela de plus près.

La procédure de détention

Lorsqu’une personne non citoyenne souhaite traverser la frontière pour accéder au territoire canadien, elle doit se présenter devant un.e employé.e de l’ASFC, qui contrôlera son identité et décidera si cette personne non citoyenne ou ne possédant pas la résidence permanente a effectivement le droit d’entrer. L’agent.e peut à ce moment décider d’ordonner la mise en détention de la personne, s’il ou elle considère que sa situation correspond à l’un des motifs de détention prévus par la loi. Il est important de noter que la détention peut aussi être ordonnée ultérieurement, par exemple lorsqu’une personne qui est entrée sans autorisation est retrouvée par l’ASFC dans le territoire, ou lorsque quelqu’un se trouvant sur le territoire reçoit une date d’expulsion, et que l’ASFC estime qu’elle risque de ne pas se présenter pour son renvoi. 

Si la détention est ordonnée, le ou la supérieur.e de l’agent.e de l’ASFC qui a émis l’ordre de mise en détention doit valider la décision. L’ASFC doit ensuite informer immédiatement la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada (CISR) de la mise en détention de la personne non citoyenne. La CISR procédera alors, dans un délai de 48 heures, à une première audience de contrôle des motifs de détention de la personne. 

L’audience de contrôle peut être tenue en personne, par vidéoconférence ou même par téléphone. Y participeront un représentant de l’ASFC (qui explique pourquoi la personne non citoyenne a été mise en détention et présente, le cas échéant, les éléments de preuve qui le justifient), le commissaire de la Section de l’immigration de la CISR (qui préside l’audience et décide si la détention est maintenue ou si la personne doit être remise en liberté) et la personne non citoyenne détenue (avec son ou sa représentant.e ¹, le cas échéant). D’autres personnes, comme des témoins, des interprètes et des membres d’organismes communautaires, peuvent aussi être présentes à l’audience.

Une fois que le commissaire de la CISR a entendu les arguments du représentant de l’ASFC, ceux de la personne non citoyenne (ou de son avocat.e) et le récit des témoins (s’il y en a), le commissaire décide si la détention sera maintenue. Lorsqu’elle l’est, une deuxième audience de contrôle des motifs de détention se tiendra sept jours plus tard. Cette deuxième audience se déroule de la même manière que la première. Si la détention est encore maintenue, des audiences de contrôle périodiques se tiendront tous les 30 jours, et ce, jusqu’à ce que la personne non citoyenne soit libérée ou renvoyée du Canada.   

Le grand pouvoir discrétionnaire de l’ASFC

Au Canada, le droit de l’immigration est généralement décrit comme un champ du droit où sont délégués de vastes pouvoirs discrétionnaires aux administrations.

Le pouvoir de détention conféré aux agents de l’ASFC fait partie de ces pouvoirs de nature discrétionnaire. Cela signifie que l’agent.e peut, sur la base des informations factuelles dont il ou elle dispose, décider de détenir ou non une personne qui se présente devant lui ou elle, ou alors opter pour des solutions de rechange à la détention.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) prévoient différents critères que l’agent.e doit prendre en considération, mais aucun de ceux-ci n’est déterminant en lui-même. 

Les agent.e.s de l’ASFC reconnaissent l’importante discrétion dont ils jouissent en matière de détention. Les motifs de détention sont multiples, le contrôle de l’identité et le risque de fuite étant les plus fréquemment invoqués pour justifier la détention d’une personne. D’ailleurs, les agent.e.s reconnaissent eux-mêmes qu’il s’agit des motifs où leur pouvoir discrétionnaire est le plus grand. En effet, plusieurs facteurs doivent être pris en compte au moment de la prise de décision ; notamment l’appréciation de la « crédibilité » de la personne – ce qui reste un facteur très subjectif. Bien que ces facteurs soient inscrits dans le RIPR, les procédures administratives indiquent cependant qu’ils ne sont pas exhaustifs, c’est-à-dire que d’autres facteurs peuvent être pris en compte même s’ils ne sont pas prévus par le cadre juridique. Cela fait partie des nombreuses zones grises du droit de l’immigration qui rendent sa mise en œuvre particulièrement complexe aux yeux des agent.e.s de l’ASFC. Par exemple, dans ce cas, elles et ils doivent apprécier chacun de ces nombreux facteurs, décider du poids à accorder à chacun d’eux et les soupeser les uns par rapport aux autres afin de décider si la détention est justifiée. 

C’est ainsi que de multiples facteurs viennent s’insérer dans ces zones grises et orienter l’exercice du pouvoir discrétionnaire de détention. Par exemple, les interactions avec la personne non citoyenne et son comportement au moment des entrevues prendront une importance considérable dans l’appréciation de sa crédibilité, donc du niveau de risque qu’elle pose. Des contraintes opérationnelles (ex. : configuration des installations au point d’entrée, disponibilité des ressources humaines) s’imposent parfois dans les décisions. La culture organisationnelle influence également la façon dont les règles et les faits sont interprétés. Dans la mesure où la mise en œuvre du droit de l’immigration en général, et du régime de détention en particulier, s’avère complexe, l’expertise s’acquiert notamment au contact des collègues plus expérimentés, par exemple les supérieur.e.s qui révisent les décisions. C’est alors l’expérience de travail qui fonde l’expertise, contrairement à d’autres domaines où elle se développe par le biais de formations ou d’expériences dans d’autres organisations. Cela crée donc un terreau fertile pour la reproduction d’une culture institutionnelle propre à l’ASFC, à travers l’apprentissage de la manière dont les règles juridiques sont appliquées sur le terrain. 

Dans le cas de l’ASFC, cette culture demeure très axée sur la sécurité et la protection du public, qui sont au cœur de son mandat et de l’identité professionnelle de ses agent.e.s. Cela se traduit notamment par une attitude soupçonneuse et méfiante à l’égard de certaines personnes non citoyennes. D’autres l’ont décrite comme étant particulièrement « hostile » à l’égard des personnes qui demandent l’asile. 

C’est ainsi à l’aune de nombreux éléments que les faits d’une situation donnée sont appréciés. 

De façon générale, l’étendue du pouvoir discrétionnaire des agent.e.s de l’ASFC soulève de nombreuses préoccupations. Par exemple, les différentes sous-cultures régionales font qu’une personne non citoyenne détenue en Ontario risque d’être détenue pendant beaucoup plus longtemps que si elle avait été détenue au Québec, alors qu’au Québec on a longtemps constaté davantage de détentions pour motif d’identité et un plus grand nombre de personnes mineures détenues. 

De même, le pouvoir discrétionnaire ouvre la porte aux discriminations raciales. Dans le cas d’agences d’exécution de la loi québécoise et canadienne, telles que l’ASFC, plusieurs études décrivent les manières dont certains groupes sont démesurément ciblés par différentes mesures de contrôle. En matière de détention, la surreprésentation des personnes noires et autochtones dans les prisons et les pénitenciers est une réalité avérée.

Bien que les données sur le profil sociodémographique des personnes détenues par l’ASFC ne soient pas systématiquement publiées, diverses sources suggèrent que les personnes racisées sont démesurément soumises à la détention. Entre autres, un rapport d’Amnistie internationale et de Human Rights Watch avance que « [l]es personnes migrantes de couleur, notamment celles qui sont noires, semblent être incarcérées pendant de plus longues périodes, et sont plus souvent placées dans des prisons provinciales que dans des centres de surveillance de l’immigration » (68). Le même rapport fait état d’un traitement plus dur pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale : détention dans les prisons provinciales, surmédication, manque de soins, recours à l’isolement. 

Un rapport d’évaluation de l’ASFC sur le traitement des voyageurs (dont la version publique est partiellement caviardée) fait aussi état de pratiques différenciées à l’égard de certains groupes particuliers, notamment en fonction du statut socioéconomique, de la couleur de peau ou de l’origine ethnique. On y indique que le quart des employé.e.s de l’ASFC interrogé.e.s ont rapporté avoir été directement témoins d’un traitement discriminatoire à l’égard d’un voyageur par un.e de leurs collègues. Dans la majorité des cas, ce traitement était entre autres fondé sur la couleur de peau ainsi que sur l’origine nationale ou ethnique des personnes qui ont fait l’objet de ce traitement.  

Or, dans un contexte juridique où les règles sont d’emblée perçues par les agent.e.s de l’ASFC comme étant truffées de zones grises, ce type de caractéristiques influence certainement l’exercice de pouvoirs discrétionnaires. C’est d’ailleurs ce que suggère le rapport d’Amnistie internationale et de Human Rights Watch dans le cas de la détention.

Absence du droit de révision

Au sein de l’ASFC, les procédures administratives indiquent qu’une fois qu’un.e agent.e a décidé de détenir une personne non citoyenne, cette décision doit faire l’objet d’un examen par son ou sa supérieur.e. Dans les faits, l’agent.e et son ou sa supérieur.e vont très généralement discuter ensemble du cas avant que l’agent.e ne rende formellement sa décision. Celle-ci résulte ainsi souvent d’une décision commune, basée sur une compréhension partagée des critères de détention, plutôt que d’un processus en deux étapes. 

Cette décision est, en théorie, contrôlée ensuite par la Section de l’immigration de la CISR. Mais en réalité ce ne sont pas toutes les décisions de l’ASFC qui le sont. En effet, les statistiques de l’ASFC indiquent qu’une partie importante des détentions sont de courte durée et que la personne est donc libérée ou renvoyée avant que le contrôle ait lieu. À l’exception de l’année 2020-2021, marquée par la pandémie de COVID-19, la durée médiane de la détention oscille entre 1 et 4 jours. Selon les années, cela signifie qu’une part importante des détentions durent moins de 48 heures. Par exemple, en 2023-2024, sur un total de 4929 personnes, 1889 ont été détenues 24 heures ou moins et 547, 48 heures ou moins. Environ 50 % des personnes ont donc été détenues moins de 48 heures, ce qui laisse croire qu’une part importante d’entre elles n’auront pas vu les motifs de leur détention contrôlés par la SI, leur détention étant entièrement entre les mains de l’ASFC. 

À cela s’ajoute le fait que le fardeau de la preuve est généralement différent au moment de la mise en détention par l’ASFC, en comparaison avec le contrôle postérieur par la CISR. Au moment de la mise en détention, l’agent.e doit avoir des motifs raisonnables de croire (ou, plus rarement, de soupçonner) que la situation de la personne correspond aux motifs de détention ². Devant la Section de l’immigration, l’ASFC doit plutôt convaincre le ou la commissaire de l’existence du motif de détention selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, la décision de l’ASFC est généralement soumise à des exigences moindres que la décision de la CISR, bien que les critères législatifs et réglementaires soient très similaires.

Une cour avec de faibles garanties ?

La CISR se définit ouvertement « comme une cour, mais avec moins de formalisme ». La LIPR indique en effet qu’elle procède, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». Loin d’être un avantage, ce manque de formalisme se traduit par le fait que la Section de l’immigration « n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve » et que le ou la commissaire peut accepter tout élément de preuve qu’il ou elle juge crédible pour justifier sa décision. Par exemple, ces règles font en sorte que la SI peut accepter des éléments de preuve soumis par l’ASFC lors de l’audience, sans que l’avocat.e de la personne détenue n’ait l’occasion de l’examiner avec attention, ou fonder sa décision sur des éléments de preuve qui correspondent à du ouï-dire.

En d’autres termes, moins de formalisme est synonyme, en pratique, de moins de garanties pour la personne en détention. De telles règles ne seraient pas acceptables devant d’autres tribunaux lorsque le droit à la liberté d’une personne est en jeu. En contexte migratoire, toutefois, le cadre juridique prévoit de moindres garanties, alors qu’il s’agit d’une privation de liberté dont la durée est indéterminée et qui peut se prolonger sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

De plus, on ne peut pas interjeter appel d’une décision de la SI en matière de détention. Les seules options sont d’attendre le prochain contrôle des motifs de la détention (à moins que des faits nouveaux justifient une demande pour le devancer) ou de contester la décision par le biais d’une demande en contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale. En outre, dans certaines circonstances bien circonscrites, les personnes détenues peuvent contester leur détention par le biais d’une demande en habeas corpus, un recours qui exige des autorités qu’elles démontrent, devant une cour de justice, que la détention est légale. Or chacune de ces options présente des limites importantes qui les rendent rarement efficaces.

Ce régime de détention a été maintes fois contesté devant les tribunaux dans les années récentes, notamment en raison de l’absence de règles prévoyant une durée maximale à la détention. Malgré des critiques parfois très vives de ces procédures, y compris par la Cour suprême du Canada, la détention a néanmoins été jugée conforme à la Charte canadienne dans l’affaire Brown

Difficultés d’accès à un.e avocat.e

La CISR n’offre pas un accès à la représentation par un avocat aux personnes non citoyennes qui traversent une procédure d’immigration. Il est donc attendu qu’elles trouvent un.e avocat.e au privé et qu’elles subviennent à leurs frais par leurs propres moyens. Il s’agit d’une démarche particulièrement difficile à entreprendre lorsqu’une personne vient de traverser un long processus migratoire, qui a pu lui coûter des milliers de dollars, et qu’elle n’a pas toujours le droit de travailler au Canada.

En revanche, certaines provinces – dont le Québec – offrent des services d’aide juridique aux personnes non citoyennes détenues. Or là encore, dans certaines provinces et notamment au Québec, il n’est pas simple d’y avoir accès, surtout en raison des entraves à la communication avec l’extérieur auxquelles font face les personnes détenues, ainsi que de la surcharge de travail du personnel de l’aide juridique. 

Le site de la CISR conseille aux personnes non citoyennes détenues souhaitant être représentées par un.e avocat.e d’en trouver un « le plus rapidement possible ». Comment trouver un.e avocat.e alors que, dès l’entrée en détention, les personnes n’ont accès ni à leur téléphone portable ni à l’internet ? Sur son site web, la CISR suggère de demander l’aide d’un.e agent.e du centre de détention afin de communiquer avec les services d’aide juridique. Les personnes détenues se retrouvent ainsi livrées au rapport de pouvoir que le personnel des établissements de détention exerce sur eux, les plaçant dans une situation de dépendance totale pour pouvoir faire valoir leurs droits.

Par ailleurs, même si les personnes détenues réussissent à obtenir le numéro de téléphone d’un.e avocat.e, le manque de ressources et de personnel de l’aide juridique fait en sorte que, au Québec, les avocat.e.s sont surchargé.e.s de travail et que, souvent, ils ou elles sont incapables d’accepter de nouveaux dossiers. À cela s’ajoute la barrière de la langue pour les personnes qui ne parlent ni français ni anglais. 

Toutes ces entraves à l’accès à un.e avocat.e expliquent pourquoi une partie importante des personnes non citoyennes ne sont pas représentées lors de la première audience, celle qui se tient dans les premières 48 heures.

Conclusion : la normalisation de l’anormal

Contrairement aux personnes détenues en lien avec des infractions pénales, les personnes non citoyennes détenues pour des raisons uniquement administratives sont privées de leur liberté suivant une procédure opaque, offrant peu de garanties d’équité procédurale et de protection contre les traitements arbitraires. De par leur condition de personne immigrante, les non-citoyen.ne.s sont soustrait.e.s à la protection de la loi et sont livré.e.s à la discrétion du personnel de l’ASFC et de la CISR. Très souvent, les droits fondamentaux de ces personnes ne sont pas respectés : elles n’ont pas accès à un.e  avocat.e, elles ne jouissent pas du droit à la révision des décisions, et leur privation de liberté repose sur peu d’éléments de preuve.

Les normes internationales encadrant la détention des personnes migrantes prévoient que la détention devrait être une mesure exceptionnelle et de dernier recours. Or au Canada, les niveaux élevés de discrétion, des facteurs tels que le racisme systémique, les limites des garanties procédurales et les obstacles à l’accès à la représentation juridique entraînent un recours disproportionné à la détention.

Le droit international prévoit également que la détention des personnes migrantes ne doit en aucun cas être de nature punitive. Mais au Canada, en pratique, le traitement des personnes non citoyennes en détention est de nature manifestement punitive, et elle est effectivement ressentie comme une punition par les personnes détenues. On note par exemple l’utilisation des menottes aux pieds et aux mains lors des transports, le recours fréquent à l’isolement administratif et disciplinaire ou encore, de manière très évidente, l’utilisation des établissements correctionnels ⁶ pour la détention des personnes aux fins de l’immigration. Cela a des conséquences graves sur la santé mentale des personnes qui subissent ce type de détention. 

Les violations des droits des personnes non citoyennes décrites dans cet article ne sont pas passées inaperçues sur le plan international. Au mois de mai 2024, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire soulignait, au terme d’une visite au Canada, que la détention des personnes non citoyennes semblait déroger au cadre établi par le droit international. On soulignait notamment l’utilisation trop large de la détention, le recours limité aux solutions alternatives à la détention, le recours à des protocoles punitifs dans le cadre de la détention ainsi que le manque d’équité procédurale des pratiques de l’ASFC. On s’inquiétait également de l’absence de tout mécanisme de surveillance civile indépendante s’agissant de la détention des personnes non citoyennes. 

Malgré le fait que l’ONU ait tiré la sonnette d’alarme sur les pratiques de détention du Canada, le pays continue de bafouer les droits fondamentaux des personnes non citoyennes jour après jour. Le gouvernement canadien se présente comme un État respectueux des droits humains, mais il redouble d’efforts et d’ingéniosité rhétorique pour légitimer diverses dérogations et violations aux droits des personnes aux yeux de la population. Pour poursuivre la réflexion à ce sujet, consultez le prochain article de cette série qui portera sur la façon dont le Canada construit l’image de l’immigrant dangereux afin de justifier ces pratiques inacceptables.

¹  Si dans la plupart des cas la personne non citoyenne est représentée par un.e avocat.e, les consultant.e.s en immigration et les parajuristes peuvent aussi agir en tant que représentant.e.s.

² Une exception notable est la mise en détention pour motif d’identité, dont l’appréciation par l’agent.e de l’ASFC doit déjà se faire selon la prépondérance des probabilités. Cela dit, l’évaluation de l’identité est une décision très subjective, de l’avis même de certains agent.e.s de l’ASFC. De plus, au moment du contrôle des motifs de détention pour identité, la SI ne fait pas sa propre appréciation de l’identité. L’ASFC doit plutôt la convaincre que l’identité de la personne pourra être établie et qu’elle fait des « efforts valables » (LIPR, art. 58(1)(d)) dans cet objectif.

³  Pour aller plus loin sur ce sujet, consultez Sean Rehaag, « Judicial Review of Refugee Determinations: The Luck of the Draw? » (2012) 38:1 Queen’s Law Journal 1; Stephanie J Silverman, « What Habeas Corpus Can (and Cannot) Do for Immigration Detainees: Scotland vs Canada and the Injustices of Imprisoning Migrants » (2019) 34:1 Canadian Journal of Law and Society 145.

Les autres provinces qui offrent des services d’aide juridique en matière d’immigration sont la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba, l’Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador.

« Revised deliberation No. 5 on deprivation of liberty of migrants », par Doc off AG NU, Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, Doc NU A/HRC/39/45 Annexe, 2018 au para 12.

Les personnes non citoyennes détenues dans les établissements correctionnels sont soumises aux mêmes conditions de vie que les personnes incarcérées pour cause d’une accusation pénale. Elles sont, par exemple, soumises à une surveillance constante et à des fouilles à nu. Les rapports de la Croix-Rouge sur les conditions de détention dans les prisons peuvent être consultés ici.

Image d’en-tête: Photo de Bernard Hermant