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Les réfugiés climatiques, ces grand.es oublié.es de la convention de Genève
Les réfugiés climatiques, ces grand.es oublié.es de la convention de Genève
- Date de publication: 23 Septembre 2024
- Autrice: Amel Zaazaa et Meritxell Abellan Almenara
- Mise en page: Donia Zahir
Introduction
À l’ère où la crise climatique et ses répercussions sont au cœur des préoccupations mondiales et à l’occasion de la grande mobilisation pour le climat, nous souhaitons, à travers cette publication, nous pencher sur la notion de réfugié.e climatique, sa signification, ses implications en matière de droits humains et les obstacles à sa reconnaissance juridique par plusieurs instances internationales.
Qu’est-ce qu’on entend par réfugiés climatiques ou environnementaux ?
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) définit les migrants environnementaux comme « les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. »
Comme la définition l’indique, la nature des déplacements des migrants environnementaux varie énormément. Parfois ils se font de façon organisée et planifiée, en réponse à un phénomène qui se développe graduellement et face auquel il est possible d’agir avant que la situation devienne insoutenable (par exemple, le déplacement depuis une zone rurale vers une ville, dû à une sécheresse qui persiste depuis des années, ou la relocalisation d’un village vers des terres à plus d’élévation face à la montée du niveau des eaux de la mer). D’autres fois, les déplacements doivent se faire de façon soudaine, forcés par une catastrophe naturelle imprévisible (par exemple, l’éruption d’un volcan). Selon la nature du changement climatique, mais aussi d’autres facteurs comme la situation socio-économique de la personne migrante, de sa situation familiale et de son réseau, le déplacement sera saisonnier, temporaire ou même permanent.
Malgré la reconnaissance de leur statut de personne migrante, les migrants environnementaux ne peuvent pas accéder officiellement au statut de réfugié ; ils et elles n’ont pas accès aux protections des droits des personnes réfugiées comme établi par la convention de Genève de 1951. Bien que l’expression “réfugié.e environnemental” soit utilisée dans la pratique, il est important de préciser qu’elle ne confère officiellement aucun statut légal aux personnes ainsi désignées.
Pour comprendre pourquoi cette reconnaissance légale est encore inexistante, il faut revenir à la genèse du statut de réfugié qui a été défini pour la première fois par la Convention du 28 juillet 1951. Ce statut désigne toute personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, et qui craint, avec raison, d’être persécuté du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques et ne peut ou ne veut demander la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte.
Comme la Convention de Genève de 1951 a été créée après la Seconde Guerre mondiale pour garantir la protection des personnes persécutées dans leur pays d’origine, principalement en raison des séquelles de la guerre, les préoccupations liées au changement climatique n’étaient pas considérées comme importantes à cette époque. Ceci a laissé un vide qui prive les réfugiés climatiques de bénéficier d’un statut juridique reconnu.
Contrairement aux motifs politiques ou religieux largement pris en considération dans les demandes d’asile, les raisons environnementales ne sont toujours pas considérées comme éligibles pour obtenir cette protection légale, car l’individu n’est pas considéré comme étant directement persécuté au sens de la Convention.
Pourtant, en 2020, selon les données des Nations Unies, plus de 23 millions de personnes ont été contraintes de se déplacer en raison de catastrophes naturelles et des effets de la crise climatique. L’Organisation internationale pour les migrations estime que le nombre de migrants climatiques pourrait atteindre un milliard de personnes en 2050.
Les régions les plus touchées par ces mouvements de population incluent l’Asie du Sud et du Sud-est, où l’intensification des typhons, des inondations et des cyclones a affecté des pays comme l’Indonésie, les Philippines, l’Inde, et le Bangladesh. En Afrique, la sécheresse et les inondations ont eu un effet particulièrement considérable sur les populations.
La plupart des personnes déplacées à cause de l’environnement ne quittent pas leur pays d’origine ; elles se réinstallent souvent dans des villes ou villages proches, exposés eux aussi aux risques de catastrophes naturelles.
En 2020, le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays était deux fois supérieur à celui des réfugiés ayant traversé une frontière. Et cette réalité ne fera que s’exacerber à l’avenir puisque, selon un récent rapport de la Banque mondiale, d’ici 2050, on estime qu’il y aura 143 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud et de l’Amérique latine en raison des impacts du changement climatique.
On pourrait croire que cette perspective, pour le moins alarmante, aurait pu faire en sorte que la notion de réfugié s’élargisse pour inclure ces populations. Or, au jour d’aujourd’hui et malgré plusieurs plaidoyers portés par les populations affectées elles-mêmes, par leurs représentants, ainsi que par des ONG, des institutions et des universitaires, cette reconnaissance tarde et entraîne des conséquences désastreuses pour une large frange de la population mondiale, surtout celle appartenant à plusieurs pays du sud global.
Plusieurs facteurs entravent la progression du droit d’asile environnemental, mais le principal obstacle demeure le manque de volonté politique manifesté par plusieurs pays du Nord, qui préfèrent souvent garder le silence sur ces questions. Paradoxalement, ce sont ces mêmes pays qui ont le plus d’impact aujourd’hui sur les changements climatiques. L’incessante surexploitation des ressources naturelles et la surconsommation des pays du Nord sont indiscutablement à la racine de la crise climatique et des mouvements de population qui s’en suivent, mais aucun effort n’est fourni pour y mettre fin.
En 1972, lors de la première conférence mondiale sur l’environnement à Stockholm, la communauté internationale avait reconnu dans une déclaration commune que l’humanité a le pouvoir de modifier son environnement, mais avertit que le faire de manière abusive ou imprudente pouvait compromettre les droits fondamentaux des individus, notamment le droit à la vie. Les pays du Nord ignorent sans cesse cet avertissement. Au lieu de remettre en question les dynamiques capitalistes et impérialistes qui sont à l’origine de la crise,
le Nord Global intensifie ses efforts pour rationaliser les politiques migratoires dans une perspective utilitaire, adoptant des mesures qui favorisent la fermeture des frontières plutôt que l’accueil et la protection des individus des pays du Sud en danger.
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a souligné en janvier 2020 que renvoyer des demandeurs d’asile dans leur pays d’origine, où leur vie est menacée par la crise climatique, pourrait les exposer à des violations de leurs droits fondamentaux, notamment leur droit à la vie. C’est la première fois qu’une telle clarification est apportée par ce Comité. Or, encore une fois, les pays du Nord ne s’en soucient pas et continuent de fermer leurs frontières aux migrants environnementaux. C’est ainsi qu’au nom de la croissance économique du Nord, le droit fondamental à la vie des populations du Sud est constamment bafoué.
Conclusion
Le texte de la Convention de Genève, dans sa formulation actuelle, se révèle inadéquat pour accorder une protection aux personnes migrantes pour des causes environnementales en tant que réfugiés.
La communauté internationale a les outils nécessaires pour modifier la définition de ‘réfugié.e’ afin de s’adapter à l’évolution de notre monde et de répondre aux besoins particuliers des personnes déplacées à cause des catastrophes naturelles et de la crise climatique, mais le manque de volonté des pays du Nord bloque tout changement effectif. Certaines conventions régionales du Sud ont déjà fait des pas vers cette direction. Par exemple, la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique reconnaît le statut de “personne déplacée” -et les protections qui vont avec- aux individus ayant dû partir de leur région à cause de la crise climatique. Or dans le Nord global, dont le désir de croissance économique infinie est à l’origine de la crise climatique, continue à agir comme si de rien n’était alors que les personnes habitant dans les pays du Sud en payent les conséquences.
Le droit fondamental à la vie des personnes migrantes pour des causes environnementales est mis à prix.
Dans le prochain article de cette série, nous nous pencherons sur le cas particulier du Canada. Nous mettrons en lumière comment les conséquences des activités industrielles du Canada se font sentir sur certains pays du Sud global. Nous examinerons ainsi comment la jonction entre les politiques économiques et migratoires du Canada crée des déplacements forcés de populations vulnérables ailleurs dans le monde qui profitent doublement à la prospérité et la richesse économique canadienne.
Image d’en-tête: Photo de Nikolas Noonan