Observatoire pour la justice migrante

Le piège du statut implicite et la précarisation institutionnalisée

Immigrante au Québec depuis 2018, année où j’ai entamé mon doctorat, je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans la situation précaire que j’ai vécue ces derniers mois. Si je choisis aujourd’hui de raconter mon histoire, c’est parce que je crois essentiel de mettre en lumière un enjeu majeur touchant de nombreuses personnes immigrantes : les délais de traitement des demandes de permis de travail et les conditions de vie des étudiant·e·s internationaux.ales confronté·e·s au fameux « statut implicite ».

La fin des études et le début du statut implicite

Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), bénéficier d’un «statut implicite» signifie que l’on peut rester au Canada et continuer de travailler ou d’étudier pendant que les autorités prennent une décision à l’égard de la demande. Mais qu’implique réellement ce statut au quotidien ? Si les expériences varient selon les parcours migratoires, le cas des étudiant·e·s internationaux.ales est particulièrement révélateur, surtout dans le contexte actuel d’instabilité des politiques migratoires, qui ciblent depuis l’année dernière ce type de migration.

La transition entre les études et la vie professionnelle représente un moment charnière et souvent difficile pour celles et ceux qui souhaitent poursuivre leur parcours au Canada, en particulier au Québec. Depuis 2020, le gouvernement québécois a mis en place une série de mesures visant à restreindre davantage l’immigration, affectant directement les étudiant·e·s internationaux.ales qui envisagent une installation durable dans la province. Cela signifie que, depuis cinq ans, mes projets — comme ceux de centaines d’autres étudiant·e·s — ont été bouleversés à plusieurs reprises.

À l’automne 2024, suivre l’actualité migratoire, tant au niveau provincial que fédéral, devenait un exercice quotidien d’angoisse. Au-delà de l’incertitude, ces annonces politiques provoquaient un sentiment d’exclusion, comme si je n’étais plus la bienvenue dans ce pays « d’accueil » que j’avais choisi pour y construire mon avenir académique et professionnel.

Le statut implicite engendre une précarité accrue. En théorie, le gouvernement fédéral autorise les diplômé·e·s en attente de leur permis post-diplôme (PTPD) à travailler sous certaines conditions.

En pratique, accéder à un emploi sans permis valide s’avère extrêmement difficile, soit à cause de la méconnaissance des employeurs, soit en raison de l’instabilité même de ce statut. Au Québec, comme ailleurs au Canada, les personnes sous statut implicite n’ont pas accès aux soins de santé via la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ne peuvent pas renouveler leur permis de conduire via la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), et ne sont pas en mesure de quitter le pays sans risquer de perdre leur droit de retour ou leur statut à la frontière.

Des délais déraisonnables

À cette précarité s’ajoute un manque flagrant de transparence concernant les délais de traitement des demandes. En juin 2024, IRCC annonçait des améliorations, notamment la fin des allers-retours à la frontière pour obtenir un permis post-diplôme. Pourtant, plusieurs demandes soumises depuis cette date restent toujours sans réponse ou ont mis plus de neuf mois à être traitées. L’attente est d’autant plus pénible pour les demandes liées aux membres de la famille, dont les délais sont rarement communiqués clairement. Les réponses obtenues auprès des représentant·e·s parlementaires se limitent généralement à des informations déjà disponibles en ligne. Pour ma part, cette période d’attente a duré neuf mois.

Des politiques changeantes, une incertitude persistante

Au fil des années passées au Québec, j’ai constaté à plusieurs reprises un changement de discours à l’égard des étudiant·e·s internationaux.ales, et ce, à tous les niveaux de gouvernement.

Autrefois valorisés, notamment à travers des initiatives comme Je choisis Montréal financée par le gouvernement provincial, ces étudiant·e·s sont désormais perçu·e·s comme un fardeau potentiel.

Depuis mars 2024, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a mis fin à son financement à ce volet via l’organisme Montréal International.

À ce jour, très peu d’informations sont disponibles concernant les programmes appelés à remplacer le Programme de l’expérience québécoise (PEQ – Diplômés), suspendu d’octobre 2024 à juin 2025. Comme moi, de nombreux diplômé·e·s d’universités québécoises, avec de l’expérience professionnelle dans la province et une bonne maîtrise du français, envisagent désormais de s’établir ailleurs au Canada.

Après plus de six années passées à faire un doctorat dans une université financée par le gouvernement du Québec, à développer une expertise dans le contexte québécois en tant que chercheuse et professionnelle dans le secteur privé, je me retrouve confrontée à un discours politique qui me dépeint comme une immigrante qui vole des emplois et des logements.

Du côté fédéral, les perspectives ne sont pas plus encourageantes. Outre l’annonce d’une réduction du nombre d’immigrant.e.s pour les trois prochaines années, des restrictions ont été introduites quant à l’accès aux permis de travail post-diplôme (PTPD), ainsi qu’à l’éligibilité des conjoint·e·s des étudiant·e·s internationaux.ales à un permis de travail.

Le rôle des universités

Face à ces réalités, le soutien des universités est non seulement souhaitable, mais indispensable. Si les étudiant·e·s internationaux.ales représentent une richesse pour les établissements, ces derniers dépendent également de leur présence. Les universités ont la responsabilité d’accompagner adéquatement leurs diplômé·e·s étranger.e.s, qui ont investi temps, argent et espoir dans un projet d’études au Québec.

Si les institutions s’inquiètent — à juste titre — des restrictions imposées à l’octroi des permis d’études, elles doivent également prendre position et agir pour améliorer les conditions de transition après les études.

Ne pas le faire, c’est risquer de laisser des générations entières de diplômé·e·s dans une impasse administrative et humaine, regrettant —comme moi — d’avoir choisi le Québec pour étudier.

Image d’en-tête : @gettyimages

Pseudonyme:

Dre. Une voix parmi d’autres

L’autrice est Docteure en sciences sociales, elle est chercheuse et immigrante d’origine latino-américaine. Écrivaine pendant ses temps libres, elle est portée par un profond engagement envers la justice sociale à l’échelle mondiale.